
On le sait. Du moins, on le pressent. Nos vêtements ont un prix bien plus élevé que celui affiché sur l’étiquette. Ce prix, c’est celui de vies brisées, de droits bafoués, d'enfants exploités. Et pourtant, on continue à acheter. Pourquoi est-ce si difficile d’aligner nos valeurs avec nos actes ?
Cette contradiction a un nom : la dissonance cognitive. Un mécanisme qui nous pousse à ignorer certaines vérités pour préserver notre confort mental.
Dans cet article, on explore les raisons pour lesquelles tant de consommateurs.rices bien informé.e.s achètent encore des vêtements issus de la fast fashion, malgré la conscience des dérives sociales, du travail des enfants, et des conséquences environnementales.
Il ne s’agit pas de juger, mais de comprendre. Et peut-être, de mieux agir.
Publié le 16 jun 2025
Temps de lecture : 4 minutes
Ce que nous savons… mais que nous ne voulons pas voir
La dissonance cognitive, théorisée par le psychosociologue Leon Festinger, désigne l’inconfort mental ressenti lorsqu’il y a contradiction entre nos croyances et nos actions. Pour réduire cette tension, notre cerveau met en place des stratégies d’évitement ou de justification.
Prenons un exemple simple et bien connu :
- Je fume (comportement) tout en sachant que cela nuit à ma santé (cognition). Pour réduire la dissonance, je me dis que cela me détend, que “je connais un oncle qui a fumé toute sa vie et qui est mort à 98 ans” ou je décide un jour d’arrêter.
Dans le cas de la fast fashion, le mécanisme est similaire :
- Je sais que des enfants fabriquent certains vêtements dans des usines du Bangladesh ou du Pakistan.
Mais je continue à acheter ce t-shirt à 5€ car “je n’ai pas les moyens”, “tout le monde le fait”, “c’est juste un petit haut, ce n’est pas si grave”.
On ignore volontairement les campagnes de sensibilisation. On minimise les faits. On évite les reportages trop dérangeants. On fait taire la petite voix intérieure.

Comment le système nous rend complices
La vérité, c’est qu’on est socialement encouragés à ne pas voir. Les grandes enseignes utilisent une communication soignée, des vitrines alléchantes, des influenceurs séduisants. Tout est fait pour désactiver la lucidité.
Et pourtant, les informations sont disponibles :
- 1 vêtement sur 10 vendu dans le monde est potentiellement fabriqué par un enfant.
- Selon l’OIT, 160 millions d’enfants travaillent encore dans le monde, dont beaucoup dans le secteur textile.
Mais notre cerveau, pour éviter l’inconfort, crée des justifications rationnelles émotionnelles :
- “Je ne peux pas changer le monde à moi seul·e.”
- “Au moins, je ne jette pas mes vêtements, je les donne.”
- “C’est trop compliqué de faire autrement, je suis fatigué·e, j’ai pas le temps de réfléchir à ça.”
C’est la stratégie du court-circuit cognitif :
Cognition : "L'exploitation d’enfants est inacceptable."
Action : "J’achète une robe de fast fashion produite en masse dans des pays à bas coût."
Justification : "Ce n’est pas moi le problème, c’est le système."
Trois réponses possibles face à la dissonance (selon Festinger) :
- Changer de comportement (acheter éthique ou de seconde main).
- Modifier la pensée (“ce n’est pas si grave, je consomme peu”).
- Ajouter une cognition compensatoire (“je trie mes déchets donc ça compense”).

Ce que nous aurions aimé entendre plus tôt
« Derrière un vêtement à bas prix, il y a parfois l’enfance sacrifiée d’un autre. »
Cette phrase, peu relayée dans les rayons des enseignes ou les campagnes de pub, pourrait bouleverser des comportements si elle était entendue, vue, répétée.
Mais la communication dominante valorise l’instantanéité, les petits prix, l’esthétique… jamais les conditions de production.
Des voix manquent pour rappeler que :
- Le travail des enfants dans la mode n’est pas un “problème du passé”
- Les grandes enseignes ne garantissent pas toutes une chaîne d’approvisionnement sans exploitation
- Il existe des alternatives accessibles, mais elles demandent un effort de conscience
Sortir du déni : de la culpabilité à l’action
La culpabilité n’est pas une fin en soi. C’est un moteur puissant pour évoluer. Il ne s’agit pas de tomber dans l’auto-flagellation, mais dans la lucidité constructive.
Changer, ce n’est pas être parfait.
C’est choisir une fois, puis une autre, puis encore.
C’est préférer l’achat d’occasion, une marque éthique, ou décider de ne rien acheter.
Petit à petit, on passe de “je n’ai pas le choix” à “je peux faire autrement”.
Et surtout : on cesse de collaborer passivement à un système qu’on désapprouve.
Une invitation à une lucidité bienveillante
Personne n’est parfait. L’important n’est pas d’être irréprochable, mais d’être cohérent avec ses valeurs.
Changer son mode de consommation, c’est un chemin. Avec ses ratés, ses détours, ses rechutes. Mais chaque geste compte. Chaque refus d’achat injuste est un acte politique.
Il est temps de ne plus détourner le regard.
De regarder nos vêtements en face.
Et de choisir de ne plus être complices.
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Sources :